Journée des femmes et des filles de sciences : entretien avec Sandrine Bardet, Maître de conférence HC-HDR

La filière bois tout comme le monde de la recherche sont des domaines où les modèles féminins sont encore trop peu nombreux.

Aujourd’hui à l’occasion de la fête des femme et des filles de sciences, j’ai souhaité mettre en avant, via cette interview, une femme scientifique, issue de la filière bois.

Retrouvez cet échange avec Sandrine Bardet, Maître de conférences HC – HDR qui :

effectue ses travaux de recherche au Laboratoire de Mécanique et Génie Civil, Université de Montpellier – CNRS 

enseigne au Département de Mécanique de la Faculté des Sciences de Montpellier. 

Sandrine Bardet est également co-porteuse du Master Sciences du Bois.
Sandrine Bardet

Sandrine, quel est ton parcours ?

J’ai suivi les classes préparatoires à Toulouse (math sup / spé), puis je suis rentrée en école d’ingénieur universitaire à Polytech Montpellier en sciences et technologie des Matériaux. En dernière année d’école d’ingénieur, j’ai eu la chance de découvrir le matériau bois et par la même occasion que l’on pouvait réaliser de la recherche sur ce matériau.

C’est pourquoi j’ai décidé de réaliser un DEA (Diplôme d’Etudes Approfondis) en Mécanique et un doctorat en mécanique sur le comportement mécanique du bois. J’ai ensuite obtenu une bourse (car j’étais dans les mieux placée dans le DEA) pour réaliser ma thèse (donc sur une durée de 3 ans) sur le « Comportement thermoviscoélastique transverse du bois humide, application à une essence tropicale dense : Bocoa prouacensis Aubl ».

Finalement mon diplôme d’ingénieur ne m’a jamais servi pour travailler puisque j’ai choisi par la suite d’embrasser une carrière universitaire.

Pourquoi as-tu choisi une carrière scientifique ?

J’ai toujours aimé les sciences et les maths. Les cours de philo c’était plus compliqué… ! A l’époque, mais il faut dire que c’est toujours un peu la norme, lorsque l’on était bonne élève, on nous dirigeait souvent vers la voie scientifique.

Mais c’est aussi et surtout parce que je baigne dedans depuis toute petite !

Mes parents étaient ingénieurs de recherche à l’université et à l’INRA.

Je me rappelle encore des visites au CNES où je voyais des maquettes de fusée… puis le DEA m’a fait découvrir la recherche et surtout le matériau bois, et ce fut la révélation !

Le bois est un sujet qui me permettait de combiner recherche et convictions écologiques ainsi que l’amour de la nature ! Réaliser des essais en forêt, au plus proche de la nature, je trouvais cela génial !

 

Qu’est-ce que « être une femme dans le monde de la recherche scientifique » ?

Dans mon domaine (la mécanique) il y a peu de femmes, mais dans mon laboratoire et mon université je ne me sens pas différenciée par mon genre.

Dans mon laboratoire de recherche il y a des hommes investis dans leur vie familiale donc personne ne fait des remarques si on doit partir plus tôt pour aller chercher un enfant à l’école. Les réunions ne sont pas placées à 17h et les femmes comme les hommes ont les mêmes chances pour déposer des dossiers de recherche, des demandes de bourses de thèse ou tout simplement obtenir des moyens pour effectuer leur recherche. C’est même parfois un élément positif car pour des raisons de parité nous pouvons aussi être mises en avant. Les femmes peuvent faire leur travail de recherche et d’enseignement comme les collègues hommes. Elles peuvent aussi prendre des responsabilités.

Mais ce n’est malheureusement pas le cas partout.

Cependant il y a moins de femmes qui vont par exemple devenir directrice de laboratoire (qui est une fonction pour laquelle on est élu pendant 5 ans) ou encore Professeur d’université (qui est le dernier grade universitaire).

Parce que pour devenir professeur, on est jugé sur les résultats scientifiques, sur le nombre d’articles rédigés, etc… Avec la charge mentale liée à l’intendance d’un foyer, qui revient souvent aux femmes, elles ont moins le temps de produire des résultats scientifiques, en tout cas elles en produisent souvent moins que les hommes.

 

La recherche, tout comme la filière bois, sont finalement deux milieux plutôt masculins. Penses-tu que ta carrière a été impactée par le fait d’être une femme ?
As-tu rencontré des difficultés ?

Dès le début de ma carrière j’ai eu de grandes responsabilités.  Avant d’avoir ma fille j’ai été vice-présidente déléguée, puis directrice adjointe de la faculté des sciences, puis ensuite directrice adjointe du laboratoire de mécanique et génie civil.

En 2016, j’ai réussi à passer mon HDR (Habilitation à Diriger des Recherches : permet d’encadrer des travaux de recherche en étant directeur de thèse et de postuler à des postes de professeurs).

L’une de mes grandes fiertés est aussi d’avoir réussi à partir deux fois, dans le cadre de séjours scientifiques, au Japon (une fois 3 mois et une fois 2 mois) avec ma fille alors âgée de 5 et 7 ans.

La première fois, nous nous sommes organisés, avec l’équipe de collègues japonais, pour que ma fille aille à la crèche. L’accueil des collègues japonais a été très bon, et ils ont apprécié que leurs étudiantes voient qu’il est possible de concilier carrière, déplacement professionnel et vie de famille.

La seconde fois ma fille est allée à l’école au japon, et finissait ses journées à 14h. C’est alors mon compagnon qui s’en occupait jusqu’ à mon retour. Dans le cas d’une famille monoparentale ou dans une famille où le conjoint ne peut pas suivre, forcément c’est plus compliqué.

 

Sandrine Bardet japon

Selon un article de mai 2020 sur le site du CNRS, la crise sanitaire que nous subissons, menace la parité dans le domaine de la recherche ? Aujourd’hui en février 2021 , qu’en est-il ?
Qu’as-tu pu observer ?

Le premier confinement du mois de mars a été plutôt dur. Il fallait faire l’école à ma fille le matin, donner mes enseignements aux étudiants l’après-midi, tout en essayant de gérer l’ambiance familiale dans un espace confiné et être finalement le garant du bien-être de tous. C’était très lourd !

En plus, avec deux autres collègues femmes il nous a tenu à cœur de nous occuper d’une promotion d’étudiants en 1ere année de licence. Nous avons déployé beaucoup d’énergie pour essayer de garder le lien avec eux. Nous avons multiplié les actions : vidéo, correction, visio… Cela nous a pris beaucoup de temps. Je me demande si cette empathie n’est pas une caractéristique purement féminine ?

Actuellement, c’est plus simple car ma fille va à l’école, les visioconférences simplifient aussi l’organisation.

Tu es particulièrement impliquée dans la lutte contre l’inégalité de genre. Quelles actions mènes-tu ?

J’ai participé à une formation « Springboard tremplin pour les femmes dans l’ES et la recherche », mise en place par l’université et depuis je participe aux tables rondes et aux activités que l’université organise pour le mois des femmes (une vice-présidente est en charge des questions de disparité femme homme à l’université).

C’est une formation qui m’a permis de réaliser que parfois on s’empêche de faire beaucoup de choses, on s’autocensure lorsque l’on est une femme.

J’ai réalisé également que l’on fonctionne différemment des hommes qui eux, ont l’habitude de fonctionner en réseaux. Les femmes sont plus seules. Il faut s’en rendre compte et changer cela !

Il est important d’avoir des exemples de femmes qui ont réussi dans l’enseignement supérieure ou la recherche et de les montrer aux lycéennes pour qu’elles prennent conscience qu’elles peuvent poursuivre, car on manque cruellement de modèles féminins.

Le CNRS a beaucoup réfléchi sur ce sujet et aujourd’hui il y a un pourcentage de femmes dans les commissions de recrutement. Le revers de la médaille c’est que comme nous ne sommes pas nombreuses : nous sommes régulièrement sollicitées dans ces commissions, et cela prend du temps ! Dans les instances où je suis élue, je vais faire attention à ce que les dossiers déposés par des femmes soient évalués à leur juste valeur, je vais mettre en avant leur responsabilité dans les tâches collectives par exemple.

Aussi je présente mon métier devant les lycéens et lycéennes et montrant aux jeunes filles qu’elles peuvent choisir une carrière scientifique, qu’on peut allier vie de famille et le métier d’enseignante-chercheuse, je leur montre des photos de mes déplacements au Japon, accompagnée de ma fille.

Enfin j’utilise l’écriture inclusive dans les mails et les documents, parce qu’il faut faire bouger les lignes… Par exemple dans la présentation des métiers liés aux master Sciences du Bois j’y fais très attention. J’assume même si c’est parfois un travail de réécriture !

Que dirais-tu aux femmes ou jeunes filles qui hésitent à se lancer dans une carrière scientifique ?

Je leur dirai quelles ne doivent pas s’empêcher de réaliser leur rêve de carrière en pensant qu’elles ne seront pas assez douées. Ce sont des métiers captivants qui permettent de collaborer avec des gens passionnants issus d’autres disciplines et d’autres pays, ce serait bien dommage de passer à côté sous prétexte d’être une femme !

N’hésitez pas !

Et justement, comment allez-vous veiller à cette équité via le Master Sciences du Bois qui s’ouvre en septembre 2021 à Montpellier ?

Il n’y aura pas de quota mais nous allons être attentifs à ce que la promotion ne soit pas composée uniquement que d’hommes ou de femmes.

Nous avons également veillé à bien mixer les disciplines pour espérer attirer des hommes et des femmes. Cependant nous serons aussi très vigilants à ce que cela ne soit pas, par exemple, les garçons qui fasse l’usinage et les filles qui s’occupent des présentations de dossier, notamment lors des travaux de groupe.

Enfin il y aura des enseignants et des enseignantes tout comme les conférenciers et conférencières qui viendront présenter leur expertise et permettre ainsi de montrer des modèles de scientifiques femmes et hommes.