PORTRAIT N°1 : Laurence Colombani

 #monprojetpourlafilierebois

Ces dernières semaines, je suis partie à la rencontre d’hommes et de femmes engagés et investis professionnellement au sein du secteur forêt-bois, dans des projets tous différents tant sur le format, le statut juridique que leurs objectifs… mais partageant aussi une même ambition : celle d’apporter des solutions concrètes à une problématique identifiée de la filière. Les prochains articles de ce blog seront donc consacrés à ces échanges. Partons ensemble à la découverte de ces nombreuses initiatives et des personnes qui les portent. Nous découvrirons par quelles étapes ils et elles sont passés, leurs difficultés, leur succès, leurs conseils, etc… 

Laurence Colombani
Cyme Innovations – Veille sur le bois

Après un parcours d’une dizaine d’années dans différents domaines de la filière bois (FSC™ France, FCBA, intermédiaire du commerce à son compte…), cette franco-canadienne a créé CYME Innovations en 2017 : un cabinet spécialisé dans les activités de conseils en Innovation autour de la filière forêt-bois, avec toujours la même motivation, celle de contribuer à la structuration de la filière bois française.

Pouvez-vous me présenter votre entreprise, sa raison d’être, et en quoi elle apporte une réponse concrète à une des problématiques de la filière forêt-bois ?

Avec Cyme Innovations, je m’adresse aux industriels du bois, aux collectivités territoriales ainsi qu’à la maîtrise d’ouvrage. Je les accompagne dans leur stratégie organisationnelle, en mariant la dimension territoriale à la dimension technique grâce à une approche globale. C’est pourquoi mes champs d’intervention sont assez variés. Je peux travailler sur de l’aménagement du territoire comme sur un projet de revalorisation industrielle ou encore sur des aspects architecturaux, tout en ayant aussi des approches à moindre échelle comme celle des coproduits, des valorisations de connexes ou encore des activités liées au design…

Mon travail est toujours guidé par une ligne conductrice : celle d’améliorer la performance de la filière forêt-bois, de promouvoir son savoir-faire inouï et ancestral, et de valoriser son industrie. Ma vision transversale de la filière et mon approche basée sur l’économie circulaire permettent dans mes missions, de mieux capter et de conserver la valeur ajoutée des régions concernées.

Des partenariats avec des experts techniques complémentaires à mes compétences me permettent d’exécuter des missions de conseils d’envergure et très complètes. J’essaie, à ma petite échelle, de contribuer à la structuration de la filière forêt-bois. D’ailleurs, dans mon travail, je pense souvent à la légende du petit colibri reprise par Pierre Rabhi dans laquelle l’oiseau qui essaie d’éteindre l’incendie en allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu, répond au tatou, agacé par cette agitation dérisoire “Je le sais, que je ne vais pas y arriver tout seul, mais au moins, j’aurai fait ma part.”

A quel stade du projet en êtes-vous ?

L’entreprise a été créée en 2017. Depuis cette date, j’ai travaillé sur des projets collaboratifs grâce au montage notamment de 2 consortiums :

1- le premier pour mener une étude prospective sur la scierie feuillue du futur financée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, avec un co-financement de la Fédération Nationale du Bois.

Dans cette mission, CYME Innovations, au-delà de sa participation à l’ensemble de l’étude, avait notamment la charge de trouver de nouveaux marchés pour la scierie feuillue du futur comme des produits innovants pour le bois construction, des nouveaux circuits de distribution, ou encore des marchés autour du mobilier et de l’up-cycling, et les valorisations des connexes.

2- le deuxième est le consortium ARB’O, créé à mon initiative.

J’ai mis plusieurs années à conceptualiser cette idée, qui est de réunir autour d’une même table des experts du bois. C’est un consortium fédérant l’ensemble des composantes de la chaîne de valeur, dans l’objectif de relever le défi de l’innovation dans la construction, et ainsi rassembler les forces et les compétences nécessaires, dès le début d’un projet, pour échanger sur les faisabilités techniques.

ARB’O₂ promeut une approche transversale de filière, allant de l’amont du projet jusqu’à sa construction, de la ressource jusqu’à la fabrication du produit grâce à des industriels leader sur le marché, puis de sa mise en œuvre, sans oublier la valorisation et le surcyclage des connexes par des structures de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire).

Le deuxième enjeu du Consortium est de faire évoluer la législation, notamment le règlement sécurité incendie (RSI) dont certaines dispositions peuvent constituer un frein à la construction bois. L’objectif est de réfléchir à la modification d’un cadre réglementaire particulièrement complexe en France pour en faire bouger les lignes sans pour autant dégrader les conditions de sécurité et de qualité des constructions.

ARB’O₂, consortium fédérateur et pluri-compétent, fait partie des lauréats de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) « Permis d’Innover » lancé en décembre 2017 par les EPA Bordeaux Euratlantique, Euro méditerranée, Grand Paris Aménagement et soutenu par le Ministère de la Cohésion du Territoire. L’objectif est de faire évoluer le secteur de la construction en France en dérogeant à la réglementation par le biais de l’article 88-II de la loi Création, Architecture et Patrimoine du 7 juillet 2016, en défendant son projet : « Le bois comme solution novatrice pour la réversibilité programmatique immobilière ».

Il existe plusieurs articles y faisant référence, en voici deux :

Mais pour des raisons personnelles, j’ai dû réduire mon activité de 80 % de septembre 2019 à décembre 2020.

Depuis que j’ai repris, je suis plutôt satisfaite de la dynamique qui est en train de se recréer.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La plus grande difficulté que j’ai rencontrée est la méconnaissance globale des gens sur le matériau bois, les essences et leurs utilisations ainsi que toutes les idées reçues qui peuvent être véhiculées. Dans mon travail au quotidien, c’est une perte de temps énorme de devoir toujours réexpliquer les mêmes choses. Je trouve aussi qu’il est difficile d’être une femme dans la filière forêt-bois encore aujourd’hui en 2021 : on parait toujours moins crédible que les hommes ! J’ai l’impression de devoir toujours en faire plus qu’un homme qui aurait eu les mêmes compétences. On retrouve ce côté un peu macho dans d’autres filières, mais il serait temps que les mentalités évoluent, nous sommes de plus en plus de femmes dans la filière et c’est tant mieux !

« La plus grande difficulté que j’ai rencontrée
est la méconnaissance globale des gens sur le matériau bois. »

Enfin, lorsque l’on travaille sur de l’innovation, il faut aussi faire face et affronter les personnes qui ne croient pas en notre projet et peuvent rapidement nous démotiver. De plus, lorsque l’on a des idées innovantes, pertinentes, et bénéfiques pour la filière, j’ai l’impression que si l’on est un “électron libre” et pas particulièrement issu du monde institutionnel ou des organisations classiques du secteur, on peut rencontrer quelques difficultés à mener à bien les projets, car il faut savoir ménager les susceptibilités de chacun et faire le poids face à des organisations plus conséquentes. Aussi sur un tout autre aspect, on m’avait recommandé un comptable qui s’est avéré être un mauvais comptable… J’ai été mal conseillée, cela a été assez compliqué de me débarrasser de lui. On ne se rend pas compte lors de la création d’une entreprise, à quel point il est important d’avoir un bon comptable !

A contrario, quelles étapes ont été les plus faciles ?

Je n’ai pas souvenir d’étape particulièrement facile, mais peut-être que mon état d’esprit me permet de vivre cette aventure entrepreneuriale de manière assez positive !

J’ai beaucoup travaillé mon concept en amont, je pense qu’il était pertinent et donc, c’est sûrement pour cela que ça a marché rapidement.

Je pense que ma culture nord-américaine, ma curiosité et mon envie de penser différemment me permettent d’y croire et d’avancer, d’ailleurs, j’entends souvent dire en France, « c’est impossible » alors qu’au Canada, on dit que « tout est possible », c’est donc sur la base de mes racines que je reste confiante.

Parfois, il arrive que l’on trouve séduisantes mes innovations et qu’on essaie de les copier… Mais ce n’est pas pour autant que je me laisse abattre, au contraire !

« Au Canada on dit que « tout est possible » :
c’est sur la base de ces racines que je reste confiante »

Comment s’est passée la période du montage financier ?

La recherche de financement a été complexe sur deux aspects :

– Lors de la création d’une entreprise, il y a une multitude de tâches à effectuer et finalement très peu de temps pour aller chercher du financement. Il existe des dispositifs, certes, mais ils sont longs, complexes et chronophages…

– La seconde problématique me concernant, c’est qu’il existe de nombreux dispositifs de soutiens financiers sur de l’innovation technologique, mais aucun pour de l’innovation organisationnelle. Pour créer mon entreprise j’ai tout de même réussi à négocier avec ma banque une autorisation de découvert plutôt importante pour une jeune entreprise, bien que je n’ai pas d’énormes frais.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire ? (sur le projet, sur votre méthode de travail, votre organisation…)

La crise sanitaire ne m’a pas trop impactée sauf sur les aspects relationnels. Beaucoup de réunions et d’échanges se font le midi en partageant un repas ou bien lors des cocktails, ce qui malheureusement pour l’instant est à l’arrêt. J’ai encore quelques rendez-vous client en présentiel tout en maintenant les distances de sécurité.

Comment arrivez-vous à maintenir un équilibre pro/perso ?

Après la longue pause professionnelle que j’ai effectuée, je reviens petit à petit à un équilibre vie pro/perso. J’arrive maintenant à prioriser certaines choses. C’est une question d’organisation et de mental.

Maintenant, j’arrive à choisir uniquement des projets qui me stimulent et je ne cherche plus à travailler sur des projets qui vont dans tous les sens.

Enfin, dans ma vie personnelle, je favorise les activités créatives qui me permettent d’alimenter mes réflexions professionnelles comme la photographie, la restauration de mobilier ou encore plus récemment, je me suis mise à faire de la musique électronique.

Qu’avez-vous mis en place pour communiquer ? Est-ce que cela fonctionne bien ?

J’ai une page Linkedin que j’essaie d’optimiser. Je trouve que cela marche plutôt bien, notamment lorsque je poste des choses qui n’ont pas forcément de lien avec le bois !

Capture d’écran du compte LinkedIn de Laurence Colombani

J’ai aussi une plaquette, un logo et des cartes de visite imprimées sur papier Conquérant par une imprimerie locale et sur du papier respectueux de l’environnement.

Je n’ai pas voulu me faire de site web, car je fonctionne en réseau, mais un jour quelqu’un m’a fait une remarque, alors depuis j’y réfléchis… Je me dis que je pourrai y valoriser mes expériences et les retours de mes clients.

De plus, plusieurs clients m’ont fait savoir qu’ils avaient eu quelques difficultés à me trouver et qu’ils avaient dû passer par plusieurs intermédiaires pour retrouver mes coordonnées !

« Il faudrait peut-être que je sois moins dans mon coin et que je montre plus mon travail… »

Cependant, je n’ai clairement pas le temps de gérer ces aspects-là. Embaucher n’est pas envisageable et je gère déjà une multitude de choses… Je tiens à maintenir un équilibre vie pro/perso et je n’ai pas le temps d’alimenter un site internet en plus.

Enfin, sur un autre aspect, j’essaie de travailler mon image de marque, mais un peu comme tout le monde j’imagine !

Si dans un an, vous aviez toute la réussite attendue, à quoi cela ressemblerait-il ?

Dans un an, j’aimerais avoir réalisé des projets professionnels tout en ayant réussi à garder un peu de temps pour moi. Mais si dans un an, j’ai toute la réussite attendue, je ferai tout pour garder la tête froide et continuer à créer de nouveaux projets, trouver de nouvelles innovations et aller encore plus loin !

Que diriez-vous/quel conseil à quelqu’un qui a envie de monter un projet dans la filière forêt-bois ?

Je lui dirai qu’ il faut toujours aller au bout de ses convictions !

Tout au long de notre parcours, on rencontre des personnes qui ne sont pas nécessairement convaincues par notre démarche, mais si toi tu es convaincu alors il faut avancer pour ne pas avoir de regrets plus tard.

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