PORTRAIT N°5 : Mathieu Pesin

 #monprojetpourlafilierebois

Ces dernières semaines, je suis partie à la rencontre d’hommes et de femmes engagés et investis professionnellement au sein du secteur forêt-bois, dans des projets tous différents tant sur le format, le statut juridique que leurs objectifs… mais partageant aussi une même ambition : celle d’apporter des solutions concrètes à une problématique identifiée de la filière. Les prochains articles de ce blog seront donc consacrés à ces échanges. Partons ensemble à la découverte de ces nombreuses initiatives et des personnes qui les portent. Nous découvrirons par quelles étapes ils et elles sont passés, leurs difficultés, leur succès, leurs conseils, etc… 

Mathieu PESIN et Openwood.cc

portrait mathieu PESIN

OpenWood est une initiative coopérative qui mutualise les ressources et développe la collaboration entre les artisans menuisiers et les designers de meubles. Son but est de créer et développer une nouvelle forme de production décentralisée de mobiliers éco-conçus avec du bois issu de forêt renouvelable et des finitions réalisées à l’aide de produits écologiques.

Logo Openwood

Pouvez-vous me présenter Openwood.cc, pourquoi ce projet, et en quoi il apporte une réponse concrète à une des problématiques de la filière forêt-bois ?

L’idée d’Openwood est née suite à la reprise par mon frère de la menuiserie familiale il y a une dizaine d’années. A cette époque, l’entreprise réalise alors des ouvrages de menuiserie et d’ébénisterie sur mesure, de grande qualité.

Pour donner de nouvelles perspectives à l’entreprise, Il s’équipe d’une machine à commande numérique et fait rapidement le constat que sa machine est inutilisée une bonne partie du temps.

En parallèle, de mon côté, j’arrêtai mon activité lié à une startup et nous nous intéressions beaucoup avec mon frère aux plans Opensource de l’initiative d’Opendesk. je me suis renseigné et après quelques appels à des confrères, la menuiserie a rapidement intégré ce réseau.

Dans un premier temps, nous avons ainsi réalisé du mobilier Opendesk, mais le volume n’était pas suffisant car leur vision est plutôt mondiale, avec beaucoup de projets à Paris.

Nous avons donc décidé de créer notre marque et notre propre boutique en ligne.

Notre positionnement sur du mobilier professionnel est ensuite arrivé rapidement.

La rencontre avec Fabrice Minassian, fondateur de L’atelier Minassian, atelier de mobilier design, a permis de créer une première gamme de mobilier complémentaire à celle d’Opendesk. 

Helene bolliot

Puis les collections se sont enchainées avec Playwood et Modifile designer qui ont réalisé d’autres plans numériques

logo modifile
playwood

En parallèle, nous avons aussi entamé un travail pour intégrer d’autres menuiseries réparties sur le territoire français, dans le but de limiter les distances de transport entre le client et le lieu de production.
Le modèle économique d’Openwood s’oppose à l’uberisation. Il se positionne sur une mutualisation de moyens et de redistribution de la valeur plus que sur le fonctionnement d’une startup qui cherche à faire du profit.

Nous avons d’ailleurs un modèle transparent de prix, sur 100 € :

10 € revient au designer

10 € au développement commercial (apporteurs d’affaires ou plateforme web)

10 € pour les frais de gestion de l’entreprise

70 € à l’artisan fabricant

Avec Openwood nous souhaitons maximiser notre impact social via l’implication d’artisans locaux dans la réalisation des productions et minimiser l’impact environnemental grâce à l’utilisation du bois local et la diminution des coûts de transports.

Cependant à part des contreplaqués de pin ou de peuplier nous n’avons pas trouvé beaucoup de produits fabriqués en France. Ces bois sont trop tendres, c’est pourquoi nous travaillons avec du contreplaqué en bouleau européen, certifié FSC et PEFC.

A quel stade du projet en êtes-vous ?

Aujourd’hui une dizaine de menuisiers sont présents dans le réseau et notre catalogue propose une soixantaine de produits, et cela va encore augmenter.
Le volume de commandes se situe entre 3 et 5 par mois, alors qu’il en faudrait plutôt autour de 30 à 50. Mais nous prenons notre temps car il n’y a pas un besoin de croissance absolue, la pérennité du modèle économique est assurée.

collection openwood

Récemment nous avons travaillé sur la mise en place d’un processus de traçabilité de nos meubles, grâce à des QR codes qui décrivent tout leur historique : la date de la commande, quel menuisier l’a fabriqué, d’où vient le bois, qui est le designer, qui est le transporteur…?
L’idée, à terme, est aussi de mesurer l’empreinte carbone de la production de notre mobilier et son impact, puis essayer de le réduire au maximum.
Nous avons aussi fourni un gros travail sur l’automatisation des commandes.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La première difficulté est l’intégration des menuisiers dans le réseau. Lorsqu’ils doivent produire des meubles pour la première fois, il y a des coûts liés aux réglages des machines, au paramétrage des plans… et tout ça sur un parc plutôt hétérogène. C’est pourquoi l’idéal est d’avoir une commande minimum, qui leur permette de couvrir ces frais, mais également pas trop conséquente pour ne pas courir trop de risques en cas de problèmes (idéalement entre 5 et 10 000 €)
Notre deuxième difficulté est d’augmenter notre volume de commandes pour alimenter la capacité de production. Nous avons du travail à faire sur la communication et le développement.
Et puis, nous avons aussi un souci concernant nos frais de livraison qui sont trop élevés par rapport à ce qui se fait classiquement sur du mobilier.
Souvent les clients sont surpris car pour une table qui coûte 300 €, il peut y avoir 200 € de livraison. Mais il ne faut pas oublier que le transport représente un véritable coût (souvent intégré dans la marge des vendeurs), or avec notre répartition de valeur transparente, ce coût est visible !
C’est pourquoi on propose souvent de venir chercher les produits à l’atelier et on milite aussi beaucoup sur le fait que si on veut faire de la transparence et dire où se trouve la valeur, il faut communiquer sur la réalité des coûts de chaque poste.

bureau openwood

A contrario, quelles étapes ont été les plus faciles ?

Je ne pensais pas qu’il serait si facile de convaincre les menuiseries de rejoindre le réseau, mais en réalité ce n’est que du plus pour eux, donc ils ont facilement accepté. Par contre j’ai plus de mal à les faire participer à la gouvernance de la société.

carte openwood

Cartographie des menuiseries intégrées dans le réseau

Comment s’est passée la période du montage financier ?

Il fallait que l’investissement en fonds propre de la menuiserie de mon frère soit limité pour rester sur un modèle coopératif, c’est pourquoi, oui, nous sommes allés chercher quelques subventions.

On a présenté le projet à Ales Audace qui nous a permis d’obtenir un premier financement de 8000 €. Cela a eu un véritable effet de levier pour prétendre à d’autres aides autour de l’innovation et la filière bois.
Cela nous a permis de réaliser des prototypages, de lancer la boutique en ligne et de mener des actions de promotion.
Nous avons aussi été lauréat des Blue Ocean Awards qui récompensent des modèles économiques innovants. A l’époque en 2017 il n’y avait pas tout cet engouement pour la réindustrialisation locale.

L’existence de la menuiserie, en parallèle, nous a quand même aidé en apportant une garantie de production et des facilités de trésorerie.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire ? (sur le projet, sur votre méthode de travail, votre organisation…)

Notre organisation de travail n’a pas été impactée par la crise. Toute la gestion d’ Openwood s’effectuant déjà en télétravail même si la salarié d’Openwood, Clara, peut aussi venir travailler dans l’espace de coworking installé dans l’atelier de menuiserie.
Par contre lors du premier confinement, l’arrêt brutal des investissements dans la construction et les locaux à mis forcément un coup d’arrêt sur les ventes, mais comme le modèle est frugal et résilient, nous avons réussi à tenir.

Qu’avez-vous mis en place pour communiquer ? Est-ce que cela fonctionne bien ?

Nos premières actions de communication ont été liées aux nominations à différents concours. Cela a plutôt bien marché et nous avons atteint une certaine notoriété la première année.

article openwood

Un travail important de SEO (référencement naturel) a été fait sur le site internet, travail qui a mis un an à être vraiment efficace.
Aujourd’hui on a un trafic stable qui tourne autour de 400-500 visites/jours, par contre notre taux de conversion est de 1 %. C’est le taux moyen de conversion que l’on retrouve dans l’ameublement mais il peut être amélioré en corrigeant quelques erreurs.

home 2 openwood

Capture d’écran du site Openwood.cc

Nos principales cibles sont les entreprises innovantes, les cellules innovation des entreprises, les espaces de coworking, les startup en croissance et les télétravailleurs que nous essayons de toucher via entre autres les réseaux sociaux : Instagram et Linkedin. La difficulté c’est de fournir du contenu de manière régulière.
Nous avons aussi mené des campagnes Google Ads, mais il faut un budget conséquent pour atteindre nos objectifs.
Des campagnes d’emailing ont été réalisées à destination des espaces de coworking. Je pense que c’est une piste à approfondir.
Enfin les architectes d’intérieur travaillent en partenariat avec nous pour prescrire nos meubles à leur clientèle, même si notre offre de partenariat est un peu décalée par rapport au marché, avec une marge pour l’architecte moins importante.

Si vous aviez une baguette magique, et que vous pourriez avoir tout ce que vous souhaitez pour votre activité d’ici un an, que demanderiez-vous ?

Si j’avais une baguette magique je demanderais clairement plus de commandes !
Plus on fera de chiffres d’affaires, plus on aura un impact économique local fort.

Que diriez-vous/quel conseil à quelqu’un qui a envie de monter un projet dans la filière forêt-bois ?

Je lui conseillerai d’être ambitieux tout en commençant par un petit pas : dans la filière forêt-bois les choses prennent du temps, un arbre prend du temps à pousser !
Avec notre projet, nous avons l’ambition d’améliorer, à notre échelle, la filière. Je sais qu’à terme, nous allons réussir à réaliser notre ambition. Mais c’est peu compatible avec des approches courtermistes et capitalistiques. Il faut trouver d’autres modèles plus résilients et être patient..

L’ histoire de Mathieu vous a plu et vous souhaitez rentrer en contact avec lui ?
Retrouvez ses coordonnées sur son profil LinkedIn

ou bien allez jeter un oeil sur le site d’Openwood